Mendes Wood DM
Paula Siebra , Brésil
"O estranho familiar"
Paula Siebra, Mesa de cabeceira com revólver, luvas e flor | Table de chevet avec revolver, gants et fleur, 2025, huile sur toile, 30 x 40 cm, MW.PSI.267, Photo credit: EstudioEmObra, Courtesy of the artist and Mendes Wood DM, São Paulo, Brussels, Paris, New York, Copyright The Artist
Paula Siebra, l’étrange familier
C’est la vision d’un quotidien remarquablement banal, imperceptiblement troublé par une touche de bizarrerie qui peut faire basculer toute la scène vers une vision de cauchemar. Une nature morte avec un révolver, des gants et une rose posés sur une table. Paula Siebra a composé l’une des premières œuvres de l’exposition comme dans un roman d’Agatha Christie. Pour elle, les polars sont comme une métaphore de la peinture. Pas tant l’intrigue en elle-même, mais le plaisir que l’on éprouve à en faire le tour, comme un limier autour de sa proie, à cerner les traits de caractère des personnages, leurs interactions, le contexte dans lequel l’histoire se déroule. Il y a dans ce genre d’enquête quelque chose de magique, qui se cristallise par des intuitions, parfois au-delà du langage. Un peu comme lorsqu’on essaye de mettre des mots sur des peintures.
Paula Siebra est originaire de Fortaleza, dans l’état de Ceara au Nord du Brésil. C’est là qu’elle a grandi. Elle raconte avoir toujours dessiné, mais c’est dans un musée d’art populaire et non un musée des beaux-arts que son regard s’est formé, à Dragão do Mar, là où sa mère l’emmenait le dimanche. Ses souvenirs sont aussi bercés de d’airs mélancoliques de choro, cette musique traditionnelle que l’on jouait dans sa famille. Elle a d’ailleurs failli prendre ce chemin-là plutôt que celui de l’art. Mais les images l’ont rattrapée et elle s’est formée à la peinture, à l’université de Rio de Janeiro. Les premières formes qui l’ont marquée sont celles des céramiques, des dentelles, des broderies de sa région natale, tout comme les images simples des ex-votos. Dans les premiers livres d’art qu’elle a découverts, il y avait Frida Kahlo et Balthus.
Évidemment, l’exposition doit aussi son titre à Freud et à son « inquiétante étrangeté », autrement traduit par François Roustang « l’étrange familier », ce qui est familier et doit rester caché. Prenons-en pour exemple ce masque posé sur une commode, tiroir ouvert rempli de lettres, avec une carafe posée sur une nappe curieusement plissée, comme un vestige de carnaval oublié là sans raison, une rencontre objective digne d’André Breton. Ce goût de la vie de tous les jours, doublé d’une attirance pour une forme de réalisme magique, émane aussi de la boîte à couture de sa mère, avec une pelote d’épingles orange, et un mètre mal roulé, ou bien d’une valise bien faite. Loin de toute métaphore, ce spectacle est simplement le signe d’une forme de zèle déployé pour ranger des chemises rayées, une pince et une brosse à cheveux, un livre et des chaussures dans une ancienne valise en crocodile achetée sur une brocante. Dans la valise, il y a un livre – un roman écrit par un auteur de sa région natale – dont la couverture est ornée d’une gravure sur bois. Elle l’a choisi car cette image lui rappelle des techniques vernaculaires qui lui sont proches. Ces dominos ? Ils sont là car il est toujours bon d’en avoir en voyage : cela permet de se faire des amis.
Un ensemble de paysages accompagne ces scènes comme des décors pour des narrations sans scénario. Il faut se laisser porter par le plaisir de cette peinture retenue. Sur les pétales veloutés d’une plante, des perles d’eau brillantes traduisent la rosée. Comment peindre la rosée ? se demande Paula Siebra. Par des atmosphères. En général, ses assistants préparent ses châssis à partir de matériaux locaux, puis elle recouvre ses toiles d’un fond ocre ou bien gris, selon les tonalités colorées qu’elle souhaite produire. Puis elle dépose d’innombrables couches de très petits coups de pinceau, avec une peinture très sèche. Ses palettes sont souvent homogènes. Sa peinture est fine, mais composée de nombreuses couches pour obtenir des halos – elle aime la peinture vénitienne.
Ses œuvres les plus énigmatiques sont ses corps, parfois coupés, réduits à des fragments, comme des bas-reliefs antiques. Ils ont d’ailleurs souvent la couleur de la pierre. Paula Siebra cite le Brésilien Vicente do Rego Monteiro (1889-1970) ou l’Italien Antonio Donghi (1897-1963), dont les peintures flirtent avec des formes d’art naïf. Elle a regardé Magritte dont le tableau du MoMA, L’éternellement évident (1948), l’a particulièrement marquée. Domenico Gnoli est parmi ses héros en peinture, ce que l’on devine devant ces personnages de face ou de dos, en train de se prendre dans les bras, immobiles ou occupés à des activités minutieuses comme celle d’examiner les perles d’un collier avec une loupe. Leurs chevelures sont peignées avec soin, transformées en surfaces abstraites comparables à des rivières ou des paysages labourés. Elles traduisent les mêmes obsessions que celles qui hantent la valise ordonnée, une envie d’harmonie.
– Anaël Pigeat
Exposition personnelle de Paula Siebra
Du 22 mai au 25 juin 2025
La galerie
Mendes Wood DM a été fondée à São Paulo en 2010 par Felipe Dmab, Matthew Wood et Pedro Mendes dans le but d’exposer des artistes internationaux et brésiliens dans un contexte propice au dialogue critique et à la fertilisation croisée des idées. Inspirée par la conviction que les pratiques artistiques élargissent le champ de l’action humaine et ont le pouvoir de changer le monde, la galerie cultive un programme axé sur le conceptuel, la résistance politique et la rigueur intellectuelle. Au cœur de ce programme, une attention particulière est portée à la différence régionale et à l’individuation, tout en favorisant le cosmopolitisme et la collaboration.
En 2017, Mendes Wood DM a inauguré son premier espace d’exposition européen à Bruxelles, fondé en partenariat avec son amie de longue date et collaboratrice Carolyn Drake Kandiyoti. Située sur trois étages d’une maison historique, la galerie se prête à des projets curatoriaux ambitieux et à des expositions monographiques d’envergure.
En 2022, Mendes Wood DM a ouvert un espace d’exposition dans le quartier de Tribeca à New York. Cette expansion est une évolution naturelle de la présence de la galerie en Amérique du Nord, mettant en avant un dialogue significatif avec le Sud global et affirmant l’engagement de la galerie à organiser des expositions importantes pour un public plus large.
La galerie a ouvert un espace à Paris en 2023. L’espace d’exposition se trouve sur les deux premiers niveaux de l’Hôtel de l’Escalopier, sur la Place des Vosges dans le Marais. Le bâtiment date du début du XVIIe siècle et se situe à l’entrée nord de la plus ancienne place aménagée de Paris. Cette nouvelle étape reflète un rêve de longue date : créer un espace d’échange artistique dans une ville qui nourrit et inspire Mendes Wood DM.
Les artistes de la galerie
Alma Allen, Laís Amaral, Lucas Arruda, Patricia Ayres, Alvaro Barrington, Neïl Beloufa, Lynda Benglis, Kasper Bosmans, Paloma Bosquê, Heidi Bucher, Varda Caivano, Nina Canell, Guglielmo Castelli, Mariana Castillo Deball, Adriano Costa, Julien Creuzet, Michael Dean, Coco Fusco, Anna Bella Geiger, Sonia Gomes, Eunnam Hong, Josi, Leah Ke Yi Zheng, Sanam Khatibi, Vojtěch Kovařík, Runo Lagomarsino, Mimi Lauter, Patricia Leite, Amadeo Luciano Lorenzato, Matthew Lutz-Kinoy, Fernando Marques Penteado, Paulo Monteiro, Ebecho Muslimova Paulo Nazareth, Paulo Nimer Pjota, Iulia Nistor, Antonio Obá, Rosana Paulino, Marina Perez Simão, Solange Pessoa, Naufus Ramírez-Figueroa, Leticia Ramos, Celso Renato, Luiz Roque, Giangiacomo Rossetti, Maaike Schoorel, Paula Siebra, Daniel Steegmann Mangrané, Kishio Suga, Pol Taburet, Rubem Valentim, Castiel Vitorino Brasileiro