Galerie Peter Kilchmann
Adrian Paci , Albanie
Soft With Sorrow
Adrian Paci, According to Paradjanov, 2023, Huile sur toile, 50 x 68 cm, courtesy de l’artiste et de la Galerie Peter Kilchmann Paris / Zurich. Photo: Axel Fried
La galerie Peter Kilchmann est ravie de présenter pour une septième exposition personnelle et pour la première fois dans son espace parisien, l’artiste Adrian Paci (1969, Shkodra, Albanie ; vit et travaille depuis 1992 à Milan, Italie et entre Milan et Shkodra, Albanie depuis 2015). Sous le titre Soft with Sorrow, l’exposition présente de nouvelles peintures à l’huile, des œuvres sur papier ainsi qu’Interregnum, une installation vidéo.
L’œuvre d’Adrian Paci s’est construite dans une relation aux images en mouvement. Il travaille depuis un corpus de sources plurielles : vidéos amateurs, extraits Youtube, films familiaux, cinéma. Pour ce nouvel ensemble, il puise parmi les cassettes confiées par des amis qui sont la mémoire, essentiellement, de rituels de mariage et de funérailles dans une Albanie rurale entre les années 90 et 2000. Il soustrait également certaines images, According to Pasolini (2023), au Médée de Pasolini (1969) et According to Paradjanov à La couleur de la grenade, de Paradjanov (1969), deux auteurs dont les films lui inspiraient aussi des œuvres antérieures.
Il ne faut pas s’y méprendre, il ne s’agit guère pour Paci de sacraliser la source ou le contexte de ces images. Ces aspects sont certes respectés mais l’artiste leur trouve surtout une qualité intrinsèque d’autonomie : leurs cadres, en ne contenant pas exclusivement de l’information, seraient le lieu de l’énigme, de l’ambiguïté. Qui disait sage comme une image ? Dans l’abandon qui la soustrait à son contexte, l’image est bavarde pour qui s’aiguise le regard.
Théoriquement, Paci considère qu’avant d’être une manière de faire, la peinture est une manière de voir. A observer ces images, elles s’offrent comme des tableaux possibles. Il importe peu de savoir si son regard attribue cette dimension picturale ou si elles détiennent en propre cette potentialité de la peinture. L’artiste guette / trouve / voit cette physicalité. Le frémissement des couleurs, leurs transparences, leurs épaisseurs, le mouvement du pinceau se donnent tant et si bien que les transporter sur la toile n’est pas un choix, plutôt une nécessité. Rien d’émotionnel, ni de conceptuel ; en somme, un état des choses qui s’abandonnent. “Vous suivez simplement ce que vous voyez, vous appliquez vos mains et les matériaux de la peinture. Comme vous liriez un texte à voix haute en ayant la conscience de ce que la voix n’est pas uniquement le texte, elle produit simultanément un corps singulier. La peinture devient alors la trace de ce processus” dit-il. Le tableau possède son propre corps. En se dressant ainsi autonome devant le regardeur, il encourage les dialogues et les gestes audacieux. Le tableau ne clôt pas le processus, il demeure en devenir, comme ouvert, engageant le spectateur à l’investir de nouvelles possibilités. En cela, Paci se sent proche des deux cinéastes dont l’imaginaire exploite une sorte de mémoire collective (de l’histoire, de la peinture…) tout en déplaçant l’expérience dans un champ inattendu pour qui épie.
En ne répondant à aucune hiérarchie comme le suggère l’espace d’exposition, la somme des énigmes de ces 18 nouvelles peintures et œuvres sur papier crée un champ des possibles infiniment vaste où le regardeur est invité à fonder un nouveau territoire, à construire un contexte inédit. Pièces de discussion finalement, les œuvres sont un domaine du vivre-ensemble. De ce vivre-ensemble, Paci explore les relations entre fiction.s et réalité.s, préoccupations existentielles et espaces consacrés au.x fantasme.s et au.x jeu.x. Les rituels incarnent parfaitement ces dialogues entre les processus de la vie et leur théâtralisation. En Albanie, après l’effondrement du régime, la réactivation de ces rituels se fait d’une manière anarchique. Les séquences de Dancers (2023), malgré leur tempérament festif, possèdent toute la fragilité et la fraîcheur d’une célébration dans un état précaire. Les Mourners (2023), les pleureuses, étaient déjà les sujets de travaux antérieurs.
Interregnum (2017) rassemble des fragments de vidéos documentant les funérailles de dictateurs communistes. Ces moments fissurent profondément les systèmes de pouvoir au sein desquels l’individu est dilué dans le corps politique. La douleur, absente de la rhétorique résolument optimiste des régimes, surgit finalement dans l’espace public. Le cortège, absurde, défile, le défunt est absent. Un montage soigneux affirme comme, malgré tout, ces individus sont animés, évidemment, par la complexité d’émotions singulières. A faire compagnonner ainsi les rituels qui entourent le deuil et la fête, Paci met en évidence que dans ces conditions contrastées, les figures se donnent en gestes, en formes, en sons, en se laissant emporter dans une chorégraphie similaire. La relation y est celle de l’individuel au collectif, de la singularité dans une multitude, de sujets dans une relation organique, en communion avec les lumières et les ombres du paysage (Woman in the shadows, Under the shadow, 2023). La peinture, aidante, résout ces tensions en ramenant tout au niveau démocratique de la surface. Chaque élément s’y déploie avec une égale importance.
L’humanité est ici dans une sorte de mouvement perpétuel. Les silhouettes dansent, apparaissent au coin d’un arbre feuillu, disparaissent, dans la foule ou dans l’angle du tableau, semblent attirées par le lointain ou se diriger vers le cœur du rituel. Les forces qui les animent sont à la fois verticales et horizontales. Ainsi ne se déplacent-elles pas que sur le sol, la toile ou le papier, mais entre terre et ciel, dans un état de lévitation que l’on n’imaginerait inhérent à des sortes de créatures spirituelles. Elles sont présentes, anonymes, sans âge, s’affranchissent de toute temporalité. Elles vibrent dans un espace archaïque, dans cette énigme qui consacre la complicité / la duplicité des joies et des peines, Soft with Sorrow.
Les œuvres de Paci sont exposées dans le monde entier depuis 1999 et récemment les institutions suivantes lui consacraient des expositions personnelles : Haifa Museum of Art, Haifa (2022) ; Historic Chapel, New York (2022), Evliyagil Museum, Istanbul (2021) ; Victoria square, Athènes (2021) ; Centro Pecci, Prato (2020) ; Kunsthalle Krems, Krems (2019) ; National Gallery of Arts, Tirana (2019) ; Salzburger Kunstverein, Salzbourg (2019) ; Brigham Young University Museum of Art, New York (2018) ; Murate/Museo Novecento, Florence (2017) ; MAXXI – Museo nazionale delle arti del XXI secolo, Rome (2015) ; MAC, Musée d’Art Contemporain de Montréal (2014), Jeu de Paume, Paris (2013) entre autres. Ses œuvres étaient présentées à la 7e Biennale Bi-City d’urbanisme/architecture, Shenzhen, Chine ; la 14e Exposition internationale d’architecture – La Biennale di Venezia (2014) ; la Biennale de Lyon (2009) ; la 15ème Quadriennale de Rome (2008) ; la Biennale de Sydney (2006) ; la 48e et 51e exposition internationale d’art – La Biennale di Venezia (1999 et 2005). Ses œuvres sont représentées dans les collections suivantes (sélection) : National Gallery of Art, Tirana ; Musée d’art contemporain de Montréal ; Musée d’Israël, Jérusalem ; GAMEC, Bergame ; Galleria Civica di Modena, Modène ; MAXXI, Rome ; Muzeum Sztuki, Lodz ; Moderna Galerija, Ljubljana ; Musée d’art moderne, New York ; Museum of Contemporary Art, Miami ; New York Public Library, New York ; Fondation Solomon Guggenheim, New York ; Musée d’art, Seattle. En France, citons le Centre Pompidou ; le FNAC – Fond National d’Art Contemporain, la Fondation Louis Vuitton. En 2016, Paci remportait le prix Art for Peace.
Exposition du 22 avril au 28 mai 2023.
La galerie
Peter Kilchmann ouvre sa première galerie en 1992 dans une ancienne usine à l'ouest de Zurich. Un petit groupe de galeries s'aventurent dans ce quartier industriel, qui ne possède encore rien de son attrait actuel. Ce mouvement révolutionnaire, motivé par la curiosité et un esprit pionnier, contribue à l'épanouissement de la scène artistique contemporaine à Zurich. La programmation de la galerie se concentre sur la photographie et l'art vidéo ; encore peu établis et rarement montrés.
Les quatre premières années, les origines de la programmation actuelle se dessinent. La galerie atteint sa maturité et entame un nouvel âge en s’installant dans le Löwenbräu Areal en 1996. Entre 1996 et 2010, elle devient une entreprise internationale prospère. Avec le déménagement à Zahnradstrasse en 2011 et l'ouverture de nouveaux locaux à Rämistrasse en 2021, la galerie poursuit son évolution. Chacune de ces étapes se fait dans un esprit de curiosité, d’euphorie et en prenant bien entendu certains risques. L'ouverture à Paris, 11-13, rue des Arquebusiers dans le Marais en octobre 2022 marque un autre chapitre.
Les artistes de la galerie
Francis Alÿs, Maja Bajevic, Hernan Bas, Marc Bauer, Armin Boehm, Monica Bonvicini, Vlassis Caniaris, Works by Los Carpinteros, John Coplans, Andriu Deplazes, Willie Doherty, Valérie Favre, Marc-Antoine Fehr, Fernanda Gomes, Beatriz González, Leiko Ikemura, Bruno Jakob, Raffi Kalenderian, Tobias Kaspar, Zilla Leutenegger, Jorge Macchi, Teresa Margolles, Fabian Marti, Kenrick McFarlane, João Modé, Paul Mpagi Sepuya, Adrian Paci, Bernd Ribbeck, Dagoberto Rodriguez, Shirana Shahbazi, Melanie Smith, Javier Téllez, Tercerunquinto, Uwe Wittwer, Artur Zmijewski
Galerie sélectionnée par Isabelle Alfonsi