Esther Schipper
Daniel Steegmann Mangrané , Espagne
"La pensée férale"
Esther Schipper a le plaisir d’annoncer La Pensée Férale, la troisième exposition de Daniel Steegmann Mangrané à la galerie et sa première dans notre espace parisien. Conçue comme une présentation en deux parties, deux expositions de l’artiste seront présentées simultanément à Paris, à la galerie Esther Schipper et à Mendes Wood DM.
Telle la pierre angulaire reliant ces deux expositions, une série d’œuvres transpose l’œil d’un chien sur un tronc d’arbre, que ce soit sous la forme d’une intervention dans le paysage ou de créations sculpturales réalisées à partir d’écorce. Elles mettent en avant un jeu de regards mutuellement transformateur, créant un enchevêtrement de perspectives entre celui qui regarde et celui qui est regardé. La Pensée Férale poursuit donc l’exploration de Steegmann Mangrané des relations complexes qu’entretiennent les êtres avec leur environnement dans des lieux comme la Mata Atlântica. Pour l’artiste, les conditions dans ces environnements de forêt tropicale révèlent un mode d’existence entièrement différent, une manière d’être au monde qui se manifeste dans les diverses cosmologies des peuples autochtones et qui génère de nouvelles notions de perspective, de subjectivité et de pouvoir d’action. Cette présentation en deux parties offre un aperçu du travail récent de Steegmann Mangrané, qui trouve des expressions poétiques et des représentations frappantes de cette nature vivace et incarnée à travers des matériaux organiques délicats tels que des feuilles, des branches ou des fruits, ainsi que la photographie et le film. Une rétrospective approfondie de son œuvre, Daniel Steegmann Mangrané: A Leaf Shapes the Eye, est actuellement exposée au MACBA à Barcelone jusqu’au 20 mai 2024.
Chez Esther Schipper, une série de sept photographies ponctuent l’espace d’exposition. Elles ont été prises au Parc National de Tijuca, une forêt tropicale atlantique à Rio de Janeiro. Si elle fut autrefois presque entièrement déboisée, l’empereur brésilien Dom Pedro II a nationalisé les terres au milieu du 19ème siècle et a fait replanter la forêt par un groupe d’esclaves, lors de ce qui fut probablement l’une des premières actions écologiques gouvernementales au monde. Bien que presque entièrement défrichée, Tijuca abrite encore des arbres âgés de plus de 600 ans. Ces géants étaient déjà en place lorsque les Portugais sont arrivés pour la première fois et ont été témoins, dans son intégralité, du violent processus de colonisation. Dans les œuvres de Steegmann Mangrané, les arbres nous regardent à leur tour à travers les yeux désincarnés de chiens sauvages.
Les photographies sont accompagnées de courts textes écrits par la philosophe Juliana Fausto, qui explore l’histoire de ce lieu depuis le point de vue de chiens féraux qui habitent la forêt aujourd’hui, et qui se demande à quoi pourrait ressembler une « pensée férale ». En s’inspirant, tout en s’en écartant par des aspects importants, de la notion de « pensée sauvage » de l’anthropologue Claude Lévi-Strauss, qui postule la possibilité d’une pensée primordiale non domestiquée par la civilisation (occidentale), Fausto imagine ce que notre pensée domestiquée pourrait devenir si nous venions à briser les chaines de la domestication, à décoloniser et libérer notre pensée. Ce ne sera pas une pensée sauvage, telle que décrite par Lévi-Strauss, mais cela pourrait devenir une pensée férale,
nous dit Fausto.
Accompagnant cette série photographique, des branches délicates sont suspendues au plafond ou présentées sur des socles. Les différentes sculptures sont faites de brindilles fendues ou de branches scindées en deux, parfois entrelacées, comme en miroir. Ces sculptures gracieuses revêtent une qualité incarnée, peut-être même anthropomorphe, suggérant à la fois une impression de fragilité et de résilience.
Chez Mendes Wood DM, des yeux encastrés dans de larges sections d’écorce de chêne fixent les visiteurs à différentes hauteurs lorsqu’ils montent les escaliers. Ces sections appartiennent à un chêne tricentenaire mort récemment à cause de la sécheresse sévère qui frappe la Catalogne. Le changement climatique a altéré les moyennes de précipitations et de température, permettant à des espèces invasives de proliférer et favorisant les infestations, comme celle du coléoptère xylophage, qui mettent en danger les forêts et stressent la faune et la flore. Les yeux désincarnés de ces chiens qui reviennent dans ces œuvres sculpturales soulignent une fois de plus l’idée d’un monde naturel qui ressent, perçoit et dialogue constamment avec ses habitants. Une série d’œuvres holographiques, évoquant un petit terrarium ou les vitrines d’un musée d’histoire naturelle, crée un petit tableau vivant composé de branches, de formes géométriques et, dans certains cas, d’insectes et d’une présence humaine. Alors que l’on regarde attentivement « à l’intérieur » de l’espace représenté, et que l’on essaye de déchiffrer ce que l’on voit, on s’aperçoit de la dimension arbitraire de la distinction entre les formes organiques et celles faites par l’homme.
L’entrelacement du vivant est à l’origine d’une nouvelle série de sculptures, Tangled Leaves, présentée dans la salle suivante. Jouant sur les mots, notamment sur la proximité phonétique entre leaves (feuilles) et lives (vies), les sculptures évoquent l’interconnexion de tous les êtres, représentée, métaphoriquement dans l’exposition par l’image de la feuille. Installée dans la dernière salle, mais propageant sa bande-son dans l’ensemble de l’exposition, une nouvelle œuvre vidéo montre une image érotique surréaliste : un œil, vu sous l’eau, cerné de têtards. La combinaison de l’immobilité et de l’animation, d’un œil envahi/entouré par de petits êtres, évoque de manière éloquente les peurs fondamentales ainsi que les effets profonds du changement climatique. La bande-son, composée par la violoncelliste renommée Franziska Agnier, accentue l’étrangeté de l’imagerie avec un staccato plein de suspense.
Exposition personnelle de Daniel Steegmann Mangrané
Du 2 avril au 20 juillet 2024
La galerie
Spécialisée dans l'art contemporain et représentant plus de 48 artistes et successions, Esther Schipper est présente à Berlin, Paris et Séoul. Depuis plus de trente ans qu'elle organise des expositions, Esther Schipper est reconnue pour fournir aux artistes une plateforme afin de présenter des projets qui investissent des territoires nouveaux, initient des départs conceptuels majeurs, et donnent naissance à de nouveaux corpus d'œuvres. S'appuyant sur un programme pionnier, la galerie s'est d'abord spécialisée dans le soutien institutionnel et la recherche de marchés pour des œuvres radicalement expérimentales et éphémères. Aujourd'hui, Esther Schipper représente des artistes internationaux de différentes générations, évoluant dans une variété de médiums. Son programme comprend aussi bien des artistes établis que de nouveaux talents.
Les artistes de la galerie
Rosa Barba, Stefan Bertalan, Julius von Bismarck, Martin Boyce, Matti Braun, AA Bronson, Sarah Buckner, Angela Bulloch, Nathan Carter, Etienne Chambaud, David Claerbout, Thomas Demand, Jean-Pascal Flavien, Ceal Floyer, Simon Fujiwara, Ryan Gander, General Idea, Liam Gillick, Dominique Gonzalez-Foerster, Andrew Grassie, Grönlund-Nisunen, Martin Honert, Pierre Huyghe, Karolina Jabłońska, Ann Veronica Janssens, Hyunsun Jeon, Christoph Keller, Annette Kelm, Tomasz Kręcicki, Gabriel Kuri, Jac Leirner, Liu Ye, Isa Melsheimer, Prabhavathi Meppayil, Ari Benjamin Meyers, Roman Ondak, Philippe Parreno, Sojourner Truth arsons, Ugo Rondinone, Christopher Roth, Cemile Sahin, Anri Sala, Karin Sander, Julia Scher, Tino Sehgal, Daniel Steegmann Mangrané, Hito Steyerl, Sun Yitian, Tao Hui, Anicka Yi.
Galerie sélectionnée par Gaëlle Choisne, Clothilde Morette , Matthieu Lelièvre et Laurence Maynier