galerie anne barrault
Vimala Pons , France
"I promise I’ll come and rescue you"
On avait quitté l’artiste sur scène, dans une performance saisissante : portant en équilibre une voiture sur sa tête, le visage dissimulé derrière un masque hyperréaliste d’Angela Merkel, Vimala Pons se livrait à une mise à nue intégrale – ralentie par une très grande superpositions de vêtements – tout en livrant dans un long monologue, le souvenir d’un chagrin d’amour de l’ex-chancelière.
Abondamment saluée, partagée et commentée, cette scène sidérante était restée comme un des souvenirs les plus marquants de l’année théâtrale.
Mais passé la sidération, ce n’était pas la performance technique et acrobatique qui restait en mémoire, pas plus que le talent inattendu d’imitatrice de l’artiste ni son humour absurde qui emportait la salle dans un éclat de rire.
Ce qui résistait et qui dépassait de très loin la portée spectaculaire de l’évènement, c’était le gouffre existentiel qui s’ouvrait alors devant nous : cette chimère insaisissable et grotesque qui occupait la scène en se mettant à nu dans une urgence chaotique et instable nous partageait une solitude profonde, métaphysique : celle de l’apprentissage du désir, du regard de l’autre, et l’absence de réponse à ce désir. L’exhibition du corps et du savoir-faire de l’artiste camouflait en réalité une plongée intime dans l’expression d’une désolation intérieure.
Le chemin dramaturgique parcouru et le dispositif scénique déployé pour conduire à cette émotion-là reste comme une des trajectoires les plus inattendues et singulières qu’il nous ait été donné de voir sur scène. Cette mise à nu, par sa radicalité et singularité en prolongeait d’autres, toutes aussi mystérieuses et insaisissables, qui ont jalonné l’histoire de l’art : de Pina Bausch à Marina Abramovic en passant par Francisco Goya et Marcel Duchamp.
C’est aujourd’hui à travers un autre langage que celui de la performance scénique que se poursuit le déploiement de l’imaginaire de l’artiste : Vimala Pons investit la Galerie Anne Barrault avec une série de très courtes vidéos, accrochées comme autant de tableaux aux murs de l’espace d’exposition. Chacun des plans de ces vidéos est issu de catalogues de banques d’images, dont le contenu est produit de manière quasiment industrielle et consiste en des images très colorées, mouvantes, tournées en courte focale et réalisées initialement à des fins d’utilisations commerciales – principalement publicitaires.
Cette imagerie de stéréotypes répétitifs (sur le couple hétérosexuel, le monde de l’entreprise ou la cellule familiale…) est réalisée initialement de manière à provoquer un désir d’achat ou de consommation, en intégrant des montages promotionnels pour une marchandise ou une idéologie.
En revisitant par le biais du texte, de la musique et du montage cette imagerie d’un bonheur consumériste d’une classe moyenne californienne, l’artiste en offre une lecture grinçante et hallucinée. Elle vient à sa manière hanter l’artificialité des situations, pour y réinjecter tout ce que le dispositif de production en a évacué : de l’irrationnel, du désir, du doute, de la névrose et du trauma.
La vacuité des mises en scènes promotionnelles devient ici le fond de scène d’une humanité fragile, désirante et délirante, où le récit de la narratrice fait se heurter dans un maëlstrom de voix intérieures, le consumérisme, la cruauté, le divertissement de masse, la joie, le narcissisme et la pulsion de mort. Entre cinéma lettriste 2.0 et théâtre de l‘absurde Vimala Pons délaisse un instant la performance pour se faire vidéaste et entrer dans les images comme elle entre dans ses personnages : par effraction.
Par Clément Cogitore
Exposition personnelle de Vimala Pons
Du 27 avril au 8 juin 2024
La galerie
Depuis ses débuts, la galerie anne barrault s’est engagée aux côtés de jeunes artistes. Elle a présenté de nombreuses premières expositions personnelles – Tiziana la Melia, Stéphanie Saadé, Guillaume Pinard, ou Jochen Gerner – tout en invitant des artistes confirmés tels que Daniel Spoerri ou Roland Topor.
En 2021, c’est la jeune artiste, Neïla Czermak Ichti qui présente sa première exposition personnelle à la galerie. Et en 2022, Liv Schulman et Rayane Mcirdi.
En vingt ans d’existence, la galerie anne barrault n’a eu de cesse de tisser des liens entre différentes disciplines, comme avec l’architecte Yona Friedman qu’elle a invité à exposer ou l’écrivain, Pacôme Thiellement à être commissaire, et aujourd’hui Marie Losier, cinéaste, à présenter sa première exposition.
La galerie accompagne également les artistes dans la réalisation de leur(s) livre(s) en collaboration avec différents éditeurs. C’est ainsi que la monographie de Neïla Czermak Ichti, et celle de Marie Losier viennent d’être publiées.
Régulièrement, la galerie convie un commissaire d’exposition indépendant à présenter une proposition originale dans son espace: en 2017 Franck Balland a organisé une exposition de Tiziana La Melia, et Marie de Brugerolle a été la commissaire d’une exposition collective intitulée « Cassoni, Peintures-boîtes » en 2022.
Les artistes de la galerie
David B., Katharina Bosse, Neïla Czermak Ichti, Julie Doucet, Dominique Figarella, Jochen Gerner, Killoffer, Tiziana La Melia, Marie Losier, Manuela Marques, Ramuntcho Matta, Rayane Mcirdi, Olivier Menanteau, Pierre Moignard, Guillaume Pinard, Vimala Pons, Tere Recarens, David Renaud, Stéphanie Saadé, Liv Schulman, Daniel Spoerri, Roland Topor, Alun, Bertrand Dezoteux, Ibrahim Meïté Sikely, Euridice Zaituna Kala
Galerie sélectionnée par Nicolas Bourriaud, Constance Guisset et Laurence Maynier