Alexia Guggémos

Critique d’art passionnée, sociologue du digital et pionnière des musées virtuels, Alexia Guggémos cultive depuis trente ans un regard singulier sur l’art contemporain. Formée à l’École du Louvre, elle conjugue exigence intellectuelle et sens de la transmission. Dès 1996, bien avant l’essor des réseaux sociaux, elle crée un espace inédit : le musée du Sourire, premier musée 100 % virtuel, dédié à cette énigmatique expression qui traverse toutes les cultures. Son intuition ? Faire du sourire un fil rouge, un langage universel, un levier pour ressentir autrement l’art. Son regard affûté et curieux, Alexia le met aussi au service des artistes émergents et des publics. Elle est l’auteure de plusieurs ouvrages dont L’Histoire de l’art pour les nullissimes (2017), où elle déroule avec clarté vingt siècles d’histoire visuelle. Paris Gallery Weekend lui donne carte blanche en 2025. Et c’est une promesse : celle d’un itinéraire à suivre avec les yeux… et avec le sourire.
L’œil en éveil, l’espace en mouvement
À l’heure où Berlin, Bruxelles ou Zurich vantent leurs circuits artistiques, Paris, elle, ne se contente pas d’ajouter quelques adresses sur une carte. Elle invente une autre géographie : vibrante, imprévisible, bouillonnante. La 12ᵉ édition de Paris Gallery Weekend en est la preuve éclatante : 74 galeries participantes, un record en Europe ! Quelle joie d’assister à cette effervescence, de sentir battre ce cœur artistique au rythme des quartiers.
J’arpente la ville avec l’élan d’une première fois et la tendresse des souvenirs accumulés : des galeries familières, des visages amis, et le plaisir tout aussi vif de pousser la porte d’espaces inconnus. Je repense aux premières éditions : les petits gâteaux posés sur les comptoirs, les sourires échangés, les boissons fraîches dégustées entre deux expositions. Cette atmosphère de fête discrète et de connivence joyeuse n’a pas changé. Elle s’est simplement amplifiée, comme une vague heureuse.
À Saint-Germain-des-Prés, rue de Seine, chez Berthet-Aittouarès, je m’arrête, curieuse. Derrière une porte poussée presque par hasard, je tombe face à un kulap papou au sourire solaire. L’émotion me saisit ! Cette figure rituelle, issue de la collection de Georges Goldfayn, compagnon de route d’André Breton, semble veiller sur le lieu. « Elle vaut tous les détours », me glisse Odile Aittouarès avec un clin d’œil complice, fidèle parmi les fidèles aux rendez-vous du Comité Professionnel des Galeries d’Art.
Je choisis de suivre le fil des femmes artistes, l’un des cinq parcours thématiques proposés cette année aux côtés de la sculpture et de la photographie. À la galerie Zidoun-Bossuyt, qui s’est imposée en quelques années comme une référence entre Dubaï et le Luxembourg, je retrouve Sabrina Bakis, la directrice, rayonnante : « Depuis l’ouverture de la galerie à Paris, il y a trois ans, nous n’avons raté aucune édition ! » Ici, l’Américaine Summer Wheat expose des œuvres qui captivent instantanément : des figures féminines lumineuses, tissées dans des trames métalliques. Vibrant, tendre, pop : chaque toile est un refuge doux et frontal à la fois.
Cap sur le Marais, ce quartier magnétique. Chez Semiose, l’Allemande Anne Neukamp déconstruit les signes avec une virtuosité presque hypnotique. Devant ses œuvres, le regard ne trouve pas d’appui : il flotte, il vacille. C’est un vertige discret, une chambre d’échos visuels. À travers sa série de miroirs peints, impossible de ne pas penser à Gaston Bachelard : « Le miroir est un objet qui peut engendrer de l’espace. » Ici, le miroir ouvre des abîmes.
Au cœur du « hub » Matignon, la galerie Pron investit un nouveau lieu rue du faubourg Saint-Honoré, marquant un tournant dans son parcours initié dans le Marais. À l’honneur pour cette ouverture : des sculptures en verre, nées de la collaboration entre le maître verrier italien Egidio Constantini et trois géants de l’art moderne — Picasso, Chagall, Ernst. Là encore, Paris redessine sa carte intime : un archipel mouvant, un réseau de regards singuliers et d’élans neufs.
Envie de prendre le large ? Direction Romainville, à 22,48m2. Là, Jean-Baptiste Caron m’invite à défier les lois invisibles. Il montre que l’espace n’est jamais vide : il est saturé de tensions délicates, d’équilibres suspendus. Tout pourrait s’effondrer, et pourtant tout tient. Cette poésie fragile me rappelle les mots de Vladimir Jankélévitch : « Le miracle n’est pas ce qui dure : le miracle est ce qui passe. »
Se laisser surprendre, vibrer, s’émerveiller : voilà le vrai luxe. Le temps d’un week-end, l’art remet l’œil en éveil, réinvente les liens entre les êtres et les lieux. Paris Gallery Weekend nous rappelle, au fond, que l’art n’est pas un simple spectacle : il est un langage commun, capable de bâtir une société plus sensible et solidaire.
– Alexia Guggémos
Ses recommandations
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Zidoun-Bossuyt Gallery
Summer Wheat , États-Unis
"Sun Up, Sun Down"
- Art contemporain
- Artistes femmes
- Peinture
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Semiose
Anne Neukamp , Allemagne
"Mirror"
- Art contemporain
- Artistes femmes
- Peinture
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Pron
Alice Gavalet, Alighiero Boetti, Bernard Rooke, Carlo Scarpa, Diego Giacometti, Ernesto Basile, Ettore Sottsass, Fausto Melotti, Gommaar Gilliams, Jane Yang-D’Haene, Kodai Ujiie, Lucio Fontana, Maurizio Donzelli, Niyaz Najafov, Marc Chagall, Max Ernst, Pablo Picasso, Pietro Ruffo, Roberto Matta, Rémy Pommeret, Roger Herman, Ujiie Kodai, et Vittorio Zecchin
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"Exposition inaugurale"
- Art contemporain
- Art moderne
- Peinture
- Sculpture
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22,48 m²
Jean-Baptiste Caron , France
"FORCES EN PRÉSENCE"
- Art contemporain
- Carte blanche
- Installation / performance