Zidoun-Bossuyt Gallery

Carte blanche donnée à Jean-Marc Dimanche

Jean-Marc Dimanche, crédit: Galerie Zidoun-Bossuyt

Galerie Zidoun-Bossuyt donne carte blanche à Jean-Marc Dimanche dans le cadre de l’exposition de Martine Feipel & Jean Bechameil, “Déplacer la Lune”.

Exposition du 24 mai au 18 juillet 2024.

Après avoir créé et dirigé pendant 20 ans l’agence de design V.I.T.R.I.O.L., Jean-Marc Dimanche fonde en 2008 avec Florence Guillier-Bernard, Maison Parisienne, galerie dédiée aux métiers d’art français. Début 2016, appelé comme conseiller auprès de la Princesse Stéphanie de Luxembourg, il travaille à la création de la biennale De Mains De Maîtres dont il est aujourd’hui commissaire général. Il dirige de 2019 à 2022, ELEVEN STEENS, Centre d’Art privé bruxellois, et est en 2023 co-commissaire de Grandeur Nature, premier parcours de sculpture contemporaine dans le jardin anglais du Château de Fontainebleau, avant de fonder avec Gilles Parmentier ceramic brussels, foire internationale d’art contemporain dédiée à la céramique.


Déplacer la lune…

« Choses, choses, choses qui en disent long quand elles disent autre chose. »

Henri Michaux

A ce titre lancé par Martine Feipel et Jean Bechameil j’ai cherché raison et oraison, une petite matière à célébrer l’astre nocturne et tous ceux qui l’accompagnent dans ses mystérieux déplacements. Explorateurs de la marche, migrants, migrateurs, peuples de la nuit et de toujours, errant chaque jour en quête de vie ou de survie. « Exodeurs » oserais-je dire en m’arrêtant sur le grand bas-relief que notre duo d’artistes a figé, non pas dans la pierre mais dans la résine, en écho aux figures humaines qui ne cessent d’avancer depuis des siècles sur le tympan de l’abbatiale de Vézelay et nombre de façades habillant encore nos cathédrales. Ou bien, plus proche de nous, peut-être faut-il voir dans l’objet de cette traversée un simple et bel hommage aux errances si chères à Rimbaud au cœur de ses Illuminations.

Dans tous les cas ici point de résurgence biblique. Pas même non plus les circonvolutions de quelques contours littéraires. La forme, ou plutôt les formes sont là pour servir le discours d’une réelle crise de conscience face au dérèglement climatique qui pousser déjà toutes les espèces à se déplacer en quête d’un ailleurs meilleur. Une procession en quelques sortes, comme celle que Martine Feipel et Jean Bechameil avaient déjà pu mettre en œuvre à l’été 2023 à Châteauvert, et dont ils ont décidé de nous donner à voir aujourd’hui la captation vidéo, unique et singulière animation d’une exposition où l’action apparaît volontairement arrêtée. Un parcours qui s’inscrit et s’impose dans le lieu, et nous oblige à nous déplacer et nous interroger sur ce chemin de foi, chaque œuvre dialoguant avec les autres comme avec nous même. Il y a urgence à voir comme il y urgence d’y croire. Soudain, la mécanique semble ralentie ou arrêtée, et rangée cette nature que nos deux compères nous ont habitué à robotiser et mettre en musique pour nous l’offrir poétiquement augmentée. Peut-être parce que le sujet leur est particulièrement sensible, de ces lendemains incertains de pandémie, prélude d’une apocalypse de loin, et jour après jour, annoncée, dénoncée, amplifiée… Ou bien peut-être plus simplement parce que leur regard se porte sur ce qui nous reste à dessiner demain, une archéologie d’un futur plus que jamais idéalisé, tel un monde d’après le monde.

L’heure est grave, semblent-ils nous dire sur le ton léger de l’art et avec leur habituelle désinvolture, et il est facile d’observer que leurs dernières œuvres se chargent ici, de manière inhabituelle, du poids d’une certaine humanité. Des silhouettes se dessinent, apparaissent, disparaissent, enveloppées comme à demi cachées dans une mer de nuages. De grands changements s’annoncent, et des oiseaux les accompagnent, tels des augures dans un ciel pour le moins chargé. L’incarnation est palpable jusque dans les sculptures qui habitent littéralement l’espace, formes imaginaires et incertaines, dont la morphologie nous reste mystérieuse. Excroissances de vie, masques ou effigies, abris ou nids, le monde semble aujourd’hui, pour Martine Feipel et Jean Bechameil, s’être dédoublé. Les êtres ou espèces ne sont sans doute pas si loin qui les ont un jour occupés, ou les investiront-elles à nouveau demain ? La notion de temps est fluide, et, comme toujours dans leur travail, étrangement nous échappe pour se diluer dans l’intemporalité des formes prêtes à s’activer. S’agit-il de fragments des siècles passés ou dépassés, ou bien de refuges futuristes sortis d’un imaginaire quasi organique, qui se joueraient de notre réalité ? Certes la nature est abîmée, mais il ne s’agit pas à cet instant pour eux de la réparer, plus certainement de la réinventer à travers une kyrielle d’objets et sculptures dont l’usage nous est en apparence étranger, mais pourrait bien être à l’évidence celui que l’on imagine pouvoir leur attribuer. À chacun notre petite planète, mais elle est pourtant pour nous tous la même. Unique et fragile, universelle parce que bel et bien mortelle.

Déplacer la lune… la chose paraît lointaine. Mais l’image est la hauteur des bouleversements et changements en cours sur notre terre, et peut-être même jusque dans notre ciel. C’est un parcours ornementique tout autant que métonymique, que nous proposent Martine Feipel et Jean Bechameii. Une lente déambulation qui offre un regard nouveau à travers la curiosité et l’acuité d’une série d’œuvres conçues ici tout spécialement pour leur première exposition parisienne. Et derrière cette quête du sensible, la question posée de la place de notre espèce au cœur du vivant, manière pour eux de nous intimer l’ordre qu’il est plus qu’urgent de nous bouger !

Jean-Marc Dimanche

Traversée de Nuit, Martine Feipel & Jean Bechameil, 2023 Crédit Photo : Oriane Lhopital