Jérôme Sans
Né en 1960, Jérôme Sans est un directeur artistique et un agitateur culturel internationalement reconnu pour son approche pionnière et transversale des nouveaux modèles d'institutions culturelles et d'expositions. Son expertise combinée dans des domaines aussi divers que le design, la mode et l'architecture a poussé sa pratique dans de multiples domaines au-delà de l'exposition, notamment auprès de marques et dans le développement urbain. Jérôme Sans est le cofondateur du célèbre Palais de Tokyo à Paris et a été le premier directeur de l'Ullens Center for Contemporary Art à Pékin (UCCA). Outre ses nombreuses publications il a été le co-fondateur, directeur de la création et rédacteur en chef du magazine culturel français L'Officiel Art. Jérôme Sans a été le commissaire de nombreuses expositions majeures à travers le monde, dont la Biennale de Taipei (2000), la Biennale de Lyon (2005) au Musée d'art contemporain de Belgrade (2022), Alicja Kwade (2022) et Bernar Venet (2023) sur la place Vendôme, le Festival Noor Riyadh (2023).
Laura Henno 1976, France
“Grande Terre” – exposition personnelle de Laura Henno
Laura Henno est une artiste que je suis depuis longtemps à travers ses expéditions dans l’espace social et dans la marge de la société, des endroits oubliés, délaissés. Comme à son habitude, pour son travail sur les îles de Mayotte, elle se met dans des situations d’une violence extrême et réussit à se faire intégrer dans ces communautés en y allant seule. Pour réaliser par exemple sa vidéo d’une puissance énorme, intitulée Koropa, l’artiste a suivi un enfant passeur naviguant de nuit sur un bateau au large des Comores. Laura Henno montre l’extrême précarité et l’injustice dans ces zones de délaissement que le monde a complètement oubliées. Pour sa série aux États-Unis (Slab City), elle se rend en plein désert californien pendant 9 semaines, dans une zone où des communautés habitent hors de la société, en marge du système, dans des caravanes juste à côté de terrains militaires. L’artiste possède une capacité extraordinaire à dévoiler l’autre face du monde sans critique, allégorie, sans pathos. De l’ordre de la performance, son travail explore la notion d’endurance, de la limite à laquelle une artiste peut aller.
Julian Charrière 1987, Suisse
“Panchronic Garden”
Explorateur des temps modernes, Julian Charrière part lui aussi en expédition, va au bout du monde, que ce soit en Arctique ou en Antarctique, dans les climats parfois les plus hostiles de la planète. Alors qu’il pourrait faire toutes ces actions à distance, aux moyens des technologies du monde d’aujourd’hui, il choisit pourtant d’y aller lui-même, au bord des cratères ou encore en haut des volcans. Sa façon d’artiste n’est pas exclusivement de montrer les choses, c’est de les vivre. Il montre que d’exister aujourd’hui dans un monde contemporain avec la nature, c’est d’y aller, de comprendre ce qu’elle signifie, d’écouter sa voix. Il nous ramène les éléments, les sons, la parole de la nature, et nous fait revivre les sens que nous avons oubliés. C’est non seulement son travail visuel qui est fascinant mais ses gestes politiques qu’il déploie avec des actions concrètes. Il acquiert par exemple chaque année une parcelle de la forêt amazonienne pour la protéger. J’aime travailler avec lui justement pour cette volonté de passer à l’action, qui fait de lui un acteur clé de la nouvelle génération d’artistes, comme un enfant de Joseph Beuys. Non seulement s’entoure-t-il des plus grands spécialistes, il porte un vrai discours sur la nature, qu’il alimente d’actions tangibles.
“Solo show Seffa Klein“
Poggi a toujours une programmation particulièrement originale et incarnée. Immergée dans l’art dès son plus jeune âge, presque naturellement prédestinée à être artiste, Seffa Klein occupe une position tout à fait particulière : elle est la petite fille d’Yves Klein, la fille des artistes Kathy Kelin et Yves Amu Klein, l’arrière-petite-fille de la peintre française Marie Raymond, et la petite nièce de l’artiste du groupe Zero Günter Uecker. « Tout est inextricablement lié, non seulement à l’échelle des particules, mais aussi à l’échelle sociale », dit Seffa Klein, à qui la galerie Poggi dédie une exposition personnelle, la deuxième en date de la jeune artiste. Cette citation de l’artiste américaine résume son rapport scientifique, presque physico-chimique à l’art, et résonne tout particulièrement avec les thématiques clés de notre monde contemporain, de la place de l’être humain dans ce cosmos, de nos nouvelles manières de vivre ensemble aujourd’hui. Ayant étudié l’astrophysique et l’art, elle est proche des rituels ésotériques et appartient à une lignée d’artistes post-Hilma Af Klint (peintre suédoise reconnue aujourd’hui comme pionnière de l’abstraction occidentale). Seffa Klein est héritière de ces expérimentations abstraites du XIXe siècle, et pose la question d’une réinvention de l’abstraction psychédélique pour notre ère, en la réadaptant à notre monde.
Yoan Capote, “Espinario”
Yoan Capote est un artiste que j’ai rencontré à Cuba il y a quelques années et qui est dans le livre que j’ai fait avec Laura Salas Redondo (Cuba Talks, interviews with 28 contemporary artists, Rizzoli, 2019). Comptant parmi les artistes cubains les plus importants, il fait partie d’une génération d’artistes dont les trajectoires se sont dessinées sous l’impact de la politique d’embargo américaine, du régime socialiste castriste, d’une précarité institutionnalisée et d’un environnement singulier que l’on peut dépeindre comme une sorte de surréalisme. Ses tableaux sont des leurres qui recèlent une situation paradoxale focalisée sur une image d’Épinal : la mer. Celle-ci est la figure de ce qui enfante tout, ce qui nourrit, qui prend soin… Elle est source de rêves, de beauté, de plaisir, mais aussi de peur et d’angoisse. Souvent remplis de ces hameçons qui peuvent couper, les tableaux de Yoan Capote dévoilent une dualité : un monde merveilleux, paisible face au risque de se faire mal si l’on se rapproche trop. Cette référence constante à la mer et à la pèche fait aussi allusion à la situation complexe de Cuba, où le poisson est quasiment introuvable malgré la proximité à la mer. C’est le paradoxe d’une île qui n’a pas de poisson. Son travail porte également un regard sur l’histoire de la peinture, qui aujourd’hui ne parle parfois plus, n’a plus le même impact que dans le passé, devenue une commodité, presque un décor. Dans son cas, il fait comme un acte de résistance : la peinture peut blesser ; il faut la regarder avec distance.
Ramin Haerizadeh, Rokni Haerizadeh & Hesam Rahmanian
J’ai eu la chance d’aller chez ce trio d’artistes à Dubai il y a plusieurs années, où ils vivent et travaillent. Ces trois artistes iraniens vivent de manière commune ensemble. Alors que chacun a sa pratique et ses propres projets personnels, Ramin Haerizadeh, Rokni Haerizadeh et Hesam Rahmanian travaillent aussi parfois à deux, ou à trois. Des artistes en collaboration à formation toujours différente, ils sont fascinants pour ce modèle très singulier de coopérer, opérant une redéfinition radicale du collectif. Ils n’ont justement pas de nom de collectif et accueillent librement d’autres artistes et amis à collaborer avec eux. Excentrique et généreuse, leur pratique nous transporte dans une autre dimension, un univers exubérant, drôle et empli d’allusions, tout en portant un vrai discours politique et social sur les problématiques contemporaines, qui questionne les mécanismes de pouvoir. Souvent comparé à la Factory des années 60 à New York, leur studio est fondé sur la collaboration ouverte, où toutes les pratiques se mêlent. Tels des enfants de Warhol, ce trio d’artistes représente une réelle liberté face à l’art, qui innerve toute leur manière de vivre.
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