Martin Bethenod

Directeur d'institutions culturelles
Portrait de Martin Bethenod, Octobre 2020, Photo Maxime Tétard

Martin Bethenod a été notamment Délégué aux Arts Plastiques du Ministère de la Culture, Commissaire général de la FIAC, Directeur du Palazzo Grassi - Punta della Dogana à Venise et de la Bourse de Commerce à Paris.

Voici quatre coups de cœur, autour d’un même goût de la cérébralité joueuse, sensible, sans sécheresse, délectable. Une promenade en quatre projets qui sont -sauf le dernier- encore invisibles au moment où j’écris ces lignes. Pour tenter de partager le désir qu’ils m’inspirent, j’ai eu recours au souvenir des précédents travaux de ces quatre artistes – suivis avec passion au cours des années -, aux échanges avec leurs galeristes, passeuses et passeurs engagés autant que visionnaires, et  à l’imagination.

 

Trisha Donnelly – Air de Paris

Que va-t-on voir au deuxième étage d’Air de Paris, habité (hanté) par Trisha Donnelly ? Pas d’image, pas d’indice, pas de communiqué, pas de liste : pour faire l’expérience de l’œuvre, la présence physique est requise.  Sculptures, photographies, dessins ou projections ? J’imagine qu’il sera, en tout cas, question de mystère, d’apparition, d’accident, de vibration, de lumière, de tremblé. Je suis certain que la proposition sera profonde, délicate, ineffable. Qu’ elle saura une fois encore «voler nos cœurs esthétiques », pour reprendre la formule indépassable du critique Jerry Saltz. Et je sais qu’elle restera ancrée dans ma mémoire.

 

Aurélien Froment – Marcelle Alix 

J’ai rencontré l’œuvre d’Aurélien Froment au milieu des années 2000, autour de son Théâtre de poche, où un magicien, mi-diseur de bonne aventure mi-historien d’art disciple d’Aby Warburg, manipulait des images avec grâce.  Depuis, je suis fasciné par sa capacité à faire naître une sorte de beauté mystérieuse de l’intelligence des formes. A manifester le droit des images « à la parole, autant que leur droit de garder le silence », comme le dit l’artiste. Après les théâtres de mémoire, les jeux de Fröbel, les fantômes du Palais idéal du Facteur Cheval… il poursuit chez Marcelle Alix sa réflexion sur la transmission des formes à travers la musique, le souffle, la voix, l’apprentissage des langues. Au travers cette fois-ci, semble-t-il, d’un voyage au creux de l’oreille et d’un parcours dans la Tapisserie de l’Apocalypse, révélée à la lumière d’une lampe-torche. 

 

Mark Geffriaud – gb agency

En 2018, Mark Geffriaud inscrivait sur les murs de gb agency une ligne continue, à hauteur de regard, sinuant sur les murs, les portes, les fenêtres, les vitres, les montants…  Ce qui semblait un simple trait était un texte de 57 mètres linéaires, dont la lecture invitait le spectateur à un exercice performatif d’arpentage systématique de l’espace de la galerie, autant qu’à une expérience poétique entre réminiscence et fiction. Qu’ils mettent en jeu la littérature, la projection, la photographie, l’impression ou l’assemblage, les dispositifs de Mark Geffriaud sont toujours marqués par leur extrême précision, et leur capacité d’évocation presque féérique. Il propose aujourd’hui une nouvelle relecture architecturale et mentale de la galerie, en installant notamment, derrière le grand mur d’exposition frontal, un espace secret -page blanche ou chambre noire- dont la porte s’ouvre à la tombée de la nuit.

 

Sherrie Levine – David Zwirner

Le retour tant attendu de Sherrie Levine à Paris (peut-on imaginer que sa dernière exposition était chez Ghislaine Hussenot en 1991 ?) est annoncé par un communiqué étrange, ironique et vaguement inquiétant, où il est question de jumeaux- comme dans une nouvelle de Mark Twain. Avec pour point de départ deux paires quasi-jumelles de sculptures de nains (l’une en verre noir et bronze poli, l’autre en cristal et bronze poli), dont les titres évoquent respectivement Gilles Deleuze et Clément Greenberg, l’exposition chez Zwirner articule une série de variations sur les questions de répétition, de simulation, d’appropriation, que l’artiste explore de manière inégalée depuis plus de quatre décennies.  On rêverait que cet accrochage radical et subtil donne des idées de programmation à une grande institution.